Une dérive onirique
Le mardi 4 juin 2024
Quatre questions à Philippe Grandrieux, metteur en scène de Tristan et Isolde
C’est l’âme d’Isolde que vous explorez dans cette mise en scène. Qu’est-ce qui vous a guidé ?
Lorsqu’on écoute cet opéra, la puissance des voix féminines, et notamment celle d’Isolde, est ce qui frappe immédiatement. En se penchant sur le livret, on s’aperçoit qu’il n’y a jamais l’évidence d’un amour fou et réciproque entre Tristan et Isolde mais plutôt la certitude d’Isolde d’avoir été regardée. L’opéra exprime la rencontre d’une forme d’érotomanie avec la mélancolie suicidaire de Tristan. C’est donc la force d’Isolde, sa puissance de dévoration mais aussi son désarroi et la fêlure de Tristan, sa schizophrénie, que j’ai mis en scène.
Comment avez-vous pensé les projections ?
J’ai travaillé avec trois danseuses sur la pulsion, cet élan vital qui nous pousse constamment et n’est jamais assouvi. Il s’agit de rendre sensible cette énergie qui traverse le corps, le lâche puis le reprend, de donner à ressentir ce chemin pulsionnel. Chaque acte est sous un signe particulier : la colère, le désir, la mélancolie.
« On ne sait plus ce qui appartient au visible et à l’invisible.
Les chanteurs eux-mêmes sont pris dans cette incertitude. »
L’absence de sous titres participe-t-elle à cette immersion ? Est-ce à dire que, pour vous, l’appréhension d’une œuvre n’est pas subordonnée au langage ?
Dans une lettre du 25 juin 1872, Wagner écrit à Nietzsche : Tristan vous intéressera sûrement : seulement pas de lunettes ! Vous pouvez ne faire qu’écouter l’orchestre. C’est à la musique que Wagner articule le désir. Ce qui est du domaine du langage éloigne de la dimension dionysiaque de la musique. En retirant les sous-titres, j’invite le public à se glisser à l’intérieur de lui-même, à se perdre, à s’avancer dans un monde rêvé.
C’est votre première mise en scène d’opéra. Qu’en retenez-vous ?
J’ai été surpris par l’aspect très concret du travail de plateau. Il n’y a pas d’autre vitesse que celle qu’impose la présence réelle des corps. Ce sont les qualités de cette présence que j’ai cherché à explorer avec les chanteurs. Durant les répétitions j’étais très près d’eux abolissant la distance pour être dans la scène avec eux, tout comme je le fais quand je filme.
Chaque jour, avant chaque répétition en studio, Philippe Grandrieux a tenu à partager avec les chanteurs des notes relatives au travail qu’il voulait mettre en place avec eux. Ces notes ont été écrites chaque jour au fil des répétitions.
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