Un amour discordant
Le lundi 26 février 2024
Cinq questions à Pierre-Emmanuel Rousseau, metteur en scène, scénographe et costumier de l’opéra Tancrède.
Qu’avez-vous envie de partager avec cette mise en scène ?
Je voulais raconter les deux histoires parallèles qui se jouent dans cet opéra. Celle de Tancrède, chevalier exilé et blessé qui rentre à Syracuse dans un désir de vengeance, et celle d’Amenaïde qui n’a cessé de l’attendre, animée par un amour absolu. Lui, traumatisé par la guerre, est davantage amoureux de l’idée de l’amour que d’Amenaïde et passe complètement à côté d’elle, ne la défendant pas lorsqu’elle sera accusée de trahison alors qu’elle fera tout son possible pour lui prouver son innocence. C’est cet amour discordant et toutes les strates de guerre, de blessure et de revanche qui font son terreau que j’avais envie d’explorer.
Comment l’avez-vous traduit sur scène ?
Par une scénographie sombre où le noir domine, avec quelques incursions dorées, et l’idée d’un Moyen-Âge fantasmé. Je me suis inspiré des films Promenade avec l’amour et la mort de John Huston (1969), qui se déroule pendant la Guerre de Cent Ans, et du Septième Sceau (1957) d’Ingmar Bergman. L’obscurantisme, l’inquisition et le poids de l’église sont particulièrement prégnants à cette époque et je souhaitais rendre ainsi le message plus universel. Tancrède a tout d’un chevalier errant qui court vers sa mort. Il arrive masqué et entre sur scène pour mourir.
Les costumes sont-ils inspirés de ce Moyen-Âge ?
Oui, mais de manière très stylisée, avec des éléments noirs et Amenaïde en or. Nous avons également joué avec les éclairages pour créer des ambiances lumineuses de clairs-obscurs.
Qu’est-il important, pour vous, de faire ressortir de la musique de Rossini sur scène ?
Cet opéra est une commande. Il s’agit du premier opera seria de Rossini et il atteint déjà une acmé à la mort de Tancrède qui est, pour moi, la plus belle page de l’Histoire de l’opéra. Rossini écrit, de manière complètement inédite, une mort naturaliste. La musique se désagrège petit à petit et Tancrède meurt, musicalement, dans un souffle. Une véritable mort de cinéma, qui n’a d’ailleurs pas plu à l’époque, obligeant Rossini à écrire une autre version finale. Tous les rôles sont également exigeants. Le quatuor de chanteurs, pour les représentations rouennaises, est juste extraordinaire. Il révélera la force de ces partitions.
Comment vos choix s’articulent-ils ?
Ici, nous partons de la production que j’ai déjà mise en scène, étudions son squelette, vidéos à l’appui, et échangeons sur la manière de nous l’approprier avec les chanteurs.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier •
« Je connaissais peu l’œuvre et ai été subjugué par la force de sa musique. »
Pierre-Emmanuel Rousseau
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