Entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui, Chorégraphe de Faun et Noetic
Peut-on envisager ces deux pièces comme un diptyque ?
Oui, elles sont très contrastées et proposent un grand écart entre deux mondes. Faun est dans l’intimité et l’animalité, Noetic se déploie dans la globalité, l’interconnexion et un aspect plus intellectuel. L’un, comme un conte sensuel ou un poème, revêt une part de féerie tandis que l’autre peut se lire comme une formule mathématique. Les deux se rejoignent dans une forme mystique de l’ordre de l’alchimie entre les êtres.
Ces créations montrent deux approches des corps très différentes. Les interprètes de Faun ne font qu’un corps alors que les femmes en talons et les hommes en costumes de Noetic sont très distingués…
Je voulais, avec Faun, être au plus près de ce que l’être humain peut faire rejaillir en tant qu’être animal faisant partie de la nature. Homme et femme sont similaires, se portent et se soutiennent mutuellement. Noetic est axé sur une société qui impose des codes binaires. Mais si vous regardez bien, les choses s’inversent peu à peu, certains hommes s’approprient une robe, des femmes empruntent un costume. Ils se regardent en miroir et jouent avec le genre dans un élan collectif.
De quoi partez-vous pour créer une pièce ?
De ce que le monde autour de moi me dicte. Avec Noetic, je voulais explorer cette connaissance intérieure profonde du monde et exprimer la connectivité des choses, cette sensation que l’on est un filament d’un grand tout. Chaque danseur tient une perche avec laquelle il se relie aux autres en créant un cercle, un globe qui ne tient que par l’ensemble du groupe. Avec Faun, c’est la musique de Debussy qui m’a guidée. J’ai voulu travailler le corps dans ses transformations animales et végétales constantes, du scorpion à la liane en passant par le chat, le singe ou l’ondulation du serpent.
Il y a une forme d’hypnose, de captation très forte du regard du spectateur dans ces deux créations. Est-ce ce que vous recherchez ?
Complètement. J’aime travailler des chorégraphies où l’on est happé, absorbé et emporté par le mouvement sans qu’on en sorte. Comme si l’on était en attente d’une fin. Je veux garder le public engagé dans ce qui se passe sur scène.
Vous travaillez aussi bien avec Beyoncé que sur la comédie musicale Starmania ou avec de grandes figures de la danse contemporaine. Par quoi êtes-vous guidé ?
Par la recherche d’un développement personnel et l’envie de me mettre au service du talent des autres. Réaliser le clip de Beyoncé m’a permis d’ouvrir mes connaissances techniques et de mettre en valeur le travail extraordinaire d’une femme noire en Amérique. La production musicale d’Alanis Morissette et Diane Paulus à Broadway m’a reconnecté à mes émotions de jeunesse, comme Starmania, dont la chanson Ziggy avait intimement résonné en moi en tant qu’adolescent homosexuel et qui est une tragédie prophétique d’une force incroyable. Dès que je sens une connexion avec un projet, j’aime le porter.
Propos recueillis par Vinciane Laumonier •