Entretien avec Lucienne Renaudin Vary, trompettiste.

Le Concerto pour trompette de Hummel est l’une de vos œuvres fétiches. Quel lien avez-vous avec elle ?

C’est l’un des premiers concertos que j’ai joué à l’âge de dix ans et de nombreuses fois depuis. La trompette a un répertoire assez restreint et le Concerto de Hummel est un tube aux côtés de celui d’Haydn. Je crois que j’y puise un enthousiasme toujours renouvelé. À chaque interprétation, je découvre une humeur, un détail ou une énergie nouvelle soutenue par l’orchestre. C’est ainsi qu’on se rend compte qu’on joue un chef-d’œuvre !

C’est une œuvre plutôt optimiste. Comment la ressentez-vous ?

Lorsque j’interprète une œuvre, je ne vois pas d’images dans ma tête mais cherche plutôt à incarner des émotions. Et j’en ressens beaucoup avec ce concerto ! Le 2e mouvement est assez romantique. Même s’il est en mineur, il ouvre des passages lumineux, comme une trouée claire à travers les nuages. Le 3e mouvement est un véritable feu d’artifice !

Vous êtes, à vingt-quatre ans, une star de la trompette mais c’est un peu par hasard que vous vous êtes tournée vers cet instrument…

Tout à fait ! J’étudiais le piano au conservatoire du Mans et ne m’en réjouissais pas spécialement. Un jour, les professeurs de trompette sont venus présenter l’instrument dont les classes étaient désertées. Je l’ai immédiatement trouvée intrigante et originale. J’ai tout adoré d’elle et ai harcelé mes parents pour m’inscrire au cours.

Une sorte de boulimie trompettiste alors ?

Une passion immédiate à tel point que je jouais six heures par jour en plus de l’école ! Mes parents ont dû me confisquer l’embouchure pour calmer mon entrain. La trompette sollicite beaucoup les muscles de la bouche et les lèvres. Il faut s’aménager des pauses dans le travail pour éviter les claquages douloureux. Contrairement à ce que l’on pense, il n’est pas question de force et de souffle avec la trompette mais plutôt de gestion d’énergie et de respiration.

Qu’est-ce que la trompette vous a appris ?

Elle est ma vie. J’en joue, tous les jours, depuis que j’ai huit ans et je ne peux pas la dissocier de moi. J’ai l’impression de pouvoir aller n’importe où avec elle, du classique au jazz, de l’intime au partage. Si elle m’a appris une chose, c’est d’avoir le plaisir d’aimer ce que je fais !

Allez-vous jouer pieds nus, comme vous en avez l’habitude ?

Certainement ! Ça dépendra de ma tenue mais je vis à 80% pieds nus. Cela m’offre une stabilité, un ancrage dans le sol et la sensation d’éprouver davantage les vibrations de la musique. J’associe beaucoup la musique à la danse. J’ai fait sept ans de danse, un vrai bonheur qui m’a donné le goût du plateau, de la lumière et l’excitation de rencontrer un public.


Propos recueillis par Vinciane Laumonier.

Entretien avec Sidi Larbi Cherkaoui, Chorégraphe de Faun et Noetic

Peut-on envisager ces deux pièces comme un diptyque ?

Oui, elles sont très contrastées et proposent un grand écart entre deux mondes. Faun est dans l’intimité et l’animalité, Noetic se déploie dans la globalité, l’interconnexion et un aspect plus intellectuel. L’un, comme un conte sensuel ou un poème, revêt une part de féerie tandis que l’autre peut se lire comme une formule mathématique. Les deux se rejoignent dans une forme mystique de l’ordre de l’alchimie entre les êtres.

Ces créations montrent deux approches des corps très différentes. Les interprètes de Faun ne font qu’un corps alors que les femmes en talons et les hommes en costumes de Noetic sont très distingués…

Je voulais, avec Faun, être au plus près de ce que l’être humain peut faire rejaillir en tant qu’être animal faisant partie de la nature. Homme et femme sont similaires, se portent et se soutiennent mutuellement. Noetic est axé sur une société qui impose des codes binaires. Mais si vous regardez bien, les choses s’inversent peu à peu, certains hommes s’approprient une robe, des femmes empruntent un costume. Ils se regardent en miroir et jouent avec le genre dans un élan collectif.

De quoi partez-vous pour créer une pièce ?

De ce que le monde autour de moi me dicte. Avec Noetic, je voulais explorer cette connaissance intérieure profonde du monde et exprimer la connectivité des choses, cette sensation que l’on est un filament d’un grand tout. Chaque danseur tient une perche avec laquelle il se relie aux autres en créant un cercle, un globe qui ne tient que par l’ensemble du groupe. Avec Faun, c’est la musique de Debussy qui m’a guidée. J’ai voulu travailler le corps dans ses transformations animales et végétales constantes, du scorpion à la liane en passant par le chat, le singe ou l’ondulation du serpent.

Il y a une forme d’hypnose, de captation très forte du regard du spectateur dans ces deux créations. Est-ce ce que vous recherchez ?

Complètement. J’aime travailler des chorégraphies où l’on est happé, absorbé et emporté par le mouvement sans qu’on en sorte. Comme si l’on était en attente d’une fin. Je veux garder le public engagé dans ce qui se passe sur scène.

Vous travaillez aussi bien avec Beyoncé que sur la comédie musicale Starmania ou avec de grandes figures de la danse contemporaine. Par quoi êtes-vous guidé ?

Par la recherche d’un développement personnel et l’envie de me mettre au service du talent des autres. Réaliser le clip de Beyoncé m’a permis d’ouvrir mes connaissances techniques et de mettre en valeur le travail extraordinaire d’une femme noire en Amérique. La production musicale d’Alanis Morissette et Diane Paulus à Broadway m’a reconnecté à mes émotions de jeunesse, comme Starmania, dont la chanson Ziggy avait intimement résonné en moi en tant qu’adolescent homosexuel et qui est une tragédie prophétique d’une force incroyable. Dès que je sens une connexion avec un projet, j’aime le porter.

Propos recueillis par Vinciane Laumonier •

Entretien avec Bruno Philippe, violoncelliste – Concert Schubert, Bach à l’Opéra de Rouen Normandie

Comment ressentez-vous ce concerto de Carl Philipp Emanuel Bach ?

Il est pour moi très lumineux et habité. Les premiers et deuxièmes mouvements sont bouleversants, presque opératiques. Carl Philipp Emanuel Bach revient à la mode mais il a été longtemps laissé de côté au profit des concerti de Haydn. Je ressens dans cette œuvre une écriture très classique et codifiée, mêlée à une émotion baroque qui surgit comme un sous-texte. Cette alliance en fait un concerto singulier.

Quelle est la place du violoncelle ?

Il tient le rôle de soliste avec des moments de bravoure comme au premier et au dernier mouvement, mais apparait aussi tel un chanteur d’aria d’opéra, au deuxième mouvement notamment. La partition du violoncelle est exigeante mais si bien écrite qu’elle est très jouissive à jouer. Comme le piano d’un concerto de Mendelssohn, le violoncelle se glisse dans l’écriture fulgurante de Bach avec une vraie jubilation.

Pour Carl Philipp Emanuel Bach, la sincérité est essentielle pour convaincre et émouvoir. Il écrivait qu’un musicien ne peut émouvoir sans être lui-même ému. Cela résonne-t-il en vous ?

Il m’est en effet impossible d’émouvoir sans être moi-même ému mais, sur scène, je me dois de ne pas être submerge par mes ressentis. L’émotion se vit en amont, lors du travail autour de l’œuvre. Sur scène, je me sens comme l’avocat de la pièce que je joue et c’est la sincérité qui compte, plus que l’émotion. Je dois dire aussi que certaines œuvres sont tellement puissantes qu’elles dépassent le ressenti de l’interprète. C’est le cas de Bach. Sa musique n’a pas besoin de l’affect de l’interprète pour toucher l’audience. Cela pourrait même fausser son message. Même jouée par un ordinateur, sa musique est déjà bouleversante !

Vous est-il arrivé d’être cueilli par l’émotion lors d’un concert ?

Oui, mais c’est rare car nous sommes rodés aux disques, aux enregistrements, aux captations vidéo et avons tellement peur de la fausse note que le lâcher prise est exceptionnel. Éprouver l’émotion en amont et s’imprégner profondément de la partition permettent de vivre ces moments d’exception.

Depuis votre Victoire de la Musique Classique en 2018, votre enthousiasme musical a-t-il changé ?

Je pense que les vraies promotions sont celles qu’on s’accorde à soi-même. Mon ressenti n’a pas changé mais l’âge modifie mon rapport à la musique. Plus jeune, j’avais envie de montrer ce que je savais faire et je me servais de la musique plus que je ne la servais. C’est un processus normal. En grandissant, je sers davantage la musique en me libérant d’un égo qui, pourtant, est nécessaire pour monter sur scène, un exercice extraordinaire mais aussi stressant. Je mesure, depuis le confinement, l’importance de ce rituel sacré que je perçois comme une chance encore plus précieuse. Ce qui est sûr, c’est que je suis toujours aussi heureux de jouer.

Propos recueillis par Vinciane Laumonier •

En partenariat avec La Factorie, maison de poésie de Normandie

Chaque saison, nous élargissons nos horizons musicaux en invitant La Factorie, maison de poésie de Normandie, à partager au sein de nos programmes de salle une série d’aphorismes. Retrouvez ici l’ensemble des citations empruntées à Pierre Corneille pour la saison 2022-2023.

Laurent Dehors & Tous DehorsOk boomer !

La joie est bonne à mille choses
Mais le chagrin n’est bon à rien.

Pierre Corneille, Agésilas, 1666

Juan Carmona – Zyriab 6.7

Le feu qui semble éteint souvent dort sous la cendre
Qui l’ose réveiller peut se laisser surprendre.
Pierre Corneille, Rodogune, princesse des Parthes, 1644

accentus – Polyphonie romaine

Qui nous donne fait plus que qui nous récompense.
Pierre Corneille, le Menteur, 1644

Stéphanie d’Oustrac & Le Poème Harmonique – Mon amant de Saint-Jean

Un véritable amant ne connaît point d’amis. 
Pierre Corneille, Cinna ou La clémence d’Auguste, 1641

Musiciens de l’Orchestre de l’OpéraIannis

Le vrai savoir donne plus lieu de trembler que de s’enorgueillir.
Pierre Corneille, Correspondance

Musiciens de l’Orchestre de l’OpéraRomantiques

La curiosité souvent dans quelques âmes
Produit le même effet que produiraient des flammes.
Pierre Corneille, le Menteur, 1644

Karine Deshayes & l’Ensemble ContrasteMitteleuropa

Beaucoup par un long âge ont appris comme vous
Que le malheur succède au bonheur le plus doux.
Pierre Corneille, Horace, 1640

Sandra Nkaké – [Elles]

Tant qu’ils ne sont qu’amants, nous sommes souveraines.
Pierre Corneille, Polyeucte martyr, 1642

Anne Teresa De Keersmaeker – Les Variations Goldberg

Nous donnons aisément ce qui n’est plus à nous.
Pierre Corneille, la Veuve, 1634

Il Pomo d’Oro & Bruno de Sá – Roma Travestita

Les visages souvent sont de doux imposteurs
Que de défaut d’esprit se couvrent de leur grâce.
Pierre Corneille, le Menteur, 1644

Alexandre Tharaud – Tharaud fait son cinéma

L’absence ne fait mal que de ceux que l’on aime. 
Pierre Corneille, la Veuve, 1632

Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra – Mozart, du génie et du cœur

Il est beau de mourir maître de l’univers.
Pierre Corneille, Cinna ou la clémence d’Auguste, 1641

Danças Ocultas

Apprends à te connaître, et descends-en toi-même. 
Pierre Corneille, Cinna ou la clémence d’Auguste, 1641

La Nuit de la poésie

Qui veut tout retenir laisse tout s’échapper.
Pierre Corneille, la Place Royale

Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra – Fantaisies anglaises

L’exemple touche plus que ne fait la menace. 
Pierre Corneille, Polyeucte, 1641

Lea Desandre & l’Ensemble Jupiter – Bach, cantates et concertos

Aimez pour être aimé. 
Pierre Corneille, Tite et Bérénice, 1670

Rodrigo Cuevas

Vous me connaissez mal, la même ardeur me brûle
Et le désir s’accroit quand l’effet se recule.
Pierre Corneille, Polyeucte martyr, 1642

Lea Desandre & l’Ensemble Jupiter – Haendel, Eternal Heaven

On va d’un pas plus ferme à suivre qu’à conduire.
Pierre Corneille, l’Imitation de Jésus-Christ, 1656

Ensemble Correspondances – Membra Jesu Nostri

La peine qui n’est plus augmente nos délices. 
Pierre Corneille, la Veuve, 1632

Quatuor Alfama – Fanny & Felix

Qui parle beaucoup dit beaucoup de sottises.
Pierre Corneille, la Suite du Menteur, 1645

Sequenza 9.3 & Trio Polycordes – 50/50 Janis Joplin Jimi Hendrix

La liberté jamais ne cesse d’être aimable. 
Pierre Corneille, Cinna ou la Clémence d’Auguste, 1641

Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra – Hautbois d’amour

L’amour le plus parfait n’est pas un mariage. 
Pierre Corneille, la Galerie du palais, 1633

René Jacobs & B’Rock Orchestra – Stabat Mater

La vie est un torrent d’éternelles disgrâces.
Pierre Corneille, l’Imitation de Jésus-Christ, 1656

Vincent Peirani, François Salque & les chanteurs d’oiseaux – Migration

Les bravades enfin sont des discours frivoles
Et qui songe aux effets néglige les paroles.
Pierre Corneille, la Mort de Pompée, 1643

Pierre Génisson et le Quatuor Hermès – Mozart, Weber

Devine si tu peux et choisis si tu l’oses.
Pierre Corneille, Héraclius empereur d’Orient, 1646

La Chimera – Misa Criolla

La conquête est pénible et la perte facile.
Pierre Corneille, l’Imitation de Jésus-Christ, 1656

Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra – Souvenirs et métamorphoses

Chaque instant de la vie est un pas vers la mort.
Pierre Corneille, Tite et Bérénice, 1670

Gaspar Claus – Tancade

L’obéissance est un métier bien rude. 
Pierre Corneille, Nicomède, 1662

Quatuor Arod – Haydn, Attahir, Mendelssohn

L’amour et l’hyménée ont diverse méthode ;
l’un court au plus aimable, et l’autre au plus commode. 
Pierre Corneille, l’Illusion comique, 1636

Miroirs Étendus – Illuminations, irisations

La peinture et la poésie ont cela de commun
Que l’une fait souvent de beaux portraits d’une femme laide
Et l’autres de belles imitations d’une action qu’il ne faut pas imiter.
Pierre Corneille, à propos de Médée, 1635

Le Concert de la Loge – Vivaldi, Mezzos triomphantes

L’amour a des tendresses
Que nous n’apprenons point qu’auprès de nos maîtresses.
Pierre Corneille, la Galerie du Palais, 1633

Grandes Voix d’Afrique

La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne. 
Pierre Corneille, le Menteur, 1644

B’Rock Orchestra & Antoine Tamestit – Tears of Melancholy

Quand on veut soutenir ceux que le sort accable
À force d’être juste on est souvent coupable.
Pierre Corneille, la Mort de Pompée, 1643

Jordi Savall – Tous les matins du monde

La raison et l’amour sont ennemis jurés.
Pierre Corneille, la Veuve, 1634

Musiciens de l’Orchestre de l’Opéra – En chemin Klezmer

C’est imprudence assez commune aux rois
D’écouter trop d’avis et se tromper de choix.
Pierre Corneille, la Mort de Pompée, 1643



En partenariat avec La Factorie, maison de poésie de Normandie

Chaque saison, nous élargissons nos horizons musicaux en invitant La Factorie, maison de poésie de Normandie, à partager au sein de nos programmes de salle une série de poèmes. Retrouvez ici l’ensemble des poèmes sélectionnés pour la saison 2022-2023.

Rigoletto, Verdi

Combien sommes-nous
À survivre à la surface
D’un moi inventé

Le ciel sans naturel à offrir
La pollution annihilant le jour
Les néons qui confisquent la nuit

Mensonge et construction de plastique
Sur toute parcelle d’imagination

Déchirer à pleine dent l’appel d’offres
Que nul n’a demandé
En donnant un haut-parleur à sa douleur

Voir son reflet et s’y reconnaître
Est une œuvre qui n’a de sens que pour soi

Peut-être aussi le début
D’une mélodie dans laquelle brille

L’hypothèse.

Laura Lutard, extrait de Au bord du bord, éditions Bruno Doucey, avril 2022

Tchaïkovsky, Rachmaninov – Ben Glassberg & Stephen Hough

Il en tomba combien dans cet abîme
Béant dans le lointain !
Et je disparaîtrai un jour
Du globe, c’est certain.

Se figera tout ce qui fut, – qui chante
et lutte et brille et veut :
Et le vert de mes yeux et ma voix tendre
Et l’or de mes cheveux.

Et la vie sera là, son pain, son sel
Et l’oubli des journées.
Et tout sera comme si sous le ciel
Je n’avais pas été !

Moi qui changeais, comme un enfant, sa mine
– Méchante par moment, –
Qui aimais l’heure où les bûches s’animent
Quand la cendre les prend

– Moi, tellement vivante et véritable
Sur le sol caressant.

À tous – qu’importe. En rien je ne mesure,
Vous : miens ou étrangers ? –
Je vous demande une confiance sûre,
Je vous prie de m’aimer.

Et jour et nuit, que je parle ou j’écrive
Pour mes « oui – non » cinglants,
Du fait que si souvent – je suis triste,
Que je n’ai que vingt ans,

Du fait de mon pardon inévitable
Des offenses passées,
Pour toute ma tendresse incontenable
Et mon trop fier aspect,

– Écoutez-moi ! – Il faut m’aimer encore
Du fait que je mourrai.

Tentatives de jalousie et autres poèmes, Marina Tsvetaïeva, 1913, traduit du russe par Ève Malleret, La Découverte, 1986.

Mythologies – Angelin Preljocaj

Ils ont dansé avec ce qui les détruit bu
Des poisons à pleine chope fumé la maladie
Dans des pipes de fer cherché les coups la prison la mort
Rêvé de scandaleuses fins
À la recherche moins d’un châtiment que
d’un Père
Rêvé l’impossible baiser sur le front d’un regard digne,
Qui porte, assure, dise avec confiance :
« Parle ! Les Dieux t’obéirons !
Rien du monde ne résiste à ceux qui osent
Aller avec simplicité à l’inconnu ! »
Tout recommence, rien ne s’use. Ô
Qu’advienne une innocence neuve pour
Tout savoir !

Extrait de Le plus réel est ce hasard et ce feu, Jean-Paul Michel, Flammarion 2006 / Gallimard 2019

Le Voyage dans la Lune, Offenbach

Le tronc volumineux du baobab lunaire est souvent
creusé de cavités suffisamment vastes pour abriter
confortablement une petite patrouille.
Son surnom d’arbre-garde-manger vient du fait qu’il
fleurit à l’intérieur de ces cavités, et que les fruits y
murissent sur des étagères naturelles.
On peut d’ailleurs les faire cuire sans les cueillir,
en disposant au centre un radiateur électrique à
batterie. Bien grillés ils ont le parfum du croissant
chaud. L’arbre n’en souffre nullement. Au contraire
la floraison suivante est plus rapide.

Michel Butor, Herbier lunaire, Éditions de la Différence, 1984

Einstein on the Beach, Philip Glass

Je marche
Je marche dans des égratignures de lointain, entre la ferraille, le béton,
le tremblé des enseignes, le reflet des vitres et la chair des passants,
nos histoires emportées par l’histoire…
La tombée du jour clignote d’une lumière chiche pendue à son absence
et en nous le déplacement est continu
disant monde en nous contenant dans lui,
mais sans connaître comment nous vivons
comment il vit comment nos vies font un
poussant les vantaux et les portes
avec des yeux minéraux dans les pupilles d’un inconnu
et le monde a une tête inconnaissable
et nous l’énumérons comme un garde-fou
car nous sommes dépareillés et divisés par un cil
enflammés par une allumette
sans place juste, sans compréhension
qui ne soit à recommencer aux balbutiements
nous hélant loin à un estuaire de nous-mêmes
jetant aux comètes des voeux de félicité et des pierres à nos faces.

Il y a des choses que non, Claude Ber, Éditions Bruno Doucey, 2017

Mozart, Schumann – Roderick Cox & David Fray

Toutes les joies des aïeux
ont passé en nous et s’amassent ;
leur cœur, ivre de chasse,
leur repos silencieux

devant un feu presque éteint…
Si dans les instants arides
de nous notre vie se vide,
d’eux nous restons tout pleins.

Et combien de femmes ont dû
en nous se sauver, intactes,
comme dans l’entr’acte
d’une pièce qui n’a pas plu –

parées d’un malheur qu’aujourd’hui
personne ne veut ni ne porte,
elles paraissent fortes
appuyées sur le sang d’autrui.

Et des enfants, des enfants !
Tous ceux que le sort refuse,
en nous exercent la ruse
d’exister pourtant.

Rainer Maria Rilke, extrait de Vergers, 1924-1925

Le Songe d’une nuit d’été, Mendelssohn

Tu étais là
Comme si c’était important pour moi
Comme si nos querelles amoureuses
Avaient la dimension d’un combat à mort
Allez
Jouons-le jusqu’au bout ce petit jeu
Que l’amour se ramène
Là où dans l’air pur on perçoit un chant de victoire
Comme une évidence
Comme si toutes ces histoires étaient possibles
Comme si nous deux
On était capable de parler d’amour.

Hettie Jones, extrait de Drive, 1998 traduit de l’américain par Franck Loiseau et Florentine Rey, Éditions Bruno Doucey, 2001

La Clémence de Titus, Mozart

Tu viens de me quitter
Comme s’éteint la minuterie
En plein milieu de l’escalier

Et j’écoute contre ma coque
Le clapotis des rades
Où s’entassent les rafiots
Qu’on veut mettre
À la casse

Tous les quarts d’heure
La radio donne de tes nouvelles
Car tu portes tous les noms
De cette solitude si naturelle
Aux hommes
Qu’ils en parlent sans
Te nommer.

Werner Lambersy, extrait de L’éternité est un battement de cils, Éditions Actes Sud, janvier 2005

Le Songe d’une nuit d’été, Britten

S’en remettre au jour
et puis un jour on renonce à devenir quelqu’un de bien
pour papa maman
pour le prince charmant pour
cette comédie dramatique

et puis un jour on renonce à réussir sa vie
ce n’est pas ce « il était une fois » qui a mal tourné
c’est simplement le vent
qui a choisi un autre chemin et nous a emportés
avec lui : ce n’est pas le bon,
mais ce n’est pas le mauvais pour autant
ce qu’il faut défaire le conte de fées
ce qu’il faut refaire le monde de fous

et puis un jour on renonce à éduquer les autres
pour s’écouter soi-même
nous sommes des poèmes à nous tout seuls
il nous faut nous relire

Myriam Oh, extrait de Ce n’est pas ce que tu n’as pas dit, mais la manière dont tu t’es tu, Éditions Lunatique, 2021

Faun, Noetic – Sidi Larbi Cherkaoui & le Ballet du Grand Théâtre de Genève

donne-moi tes mains
pour mesurer avec la sueur
le poids qui est
en puissance dans chaque mot
et peut-être de refuser
de faire face

tout disparaît
aucun mot à venir
plus rien
si ce n’est
avec tes mains
la mesure du temps qui passe

et dans cette sensation presque
tout le monde qui vient avec elle

dans le sans mot
instant
quelque chose
peut se passer

Extrait de le présent du présent, Alexis Pelletier, Édition Tarabuste, 2020

Schubert, Bach – Andreas Spering & Bruno Philippe

Dans le vin, fréquentant des amis, je t’ai fuie
– Je concevais pour tes yeux sombres de l’horreur –
Dans les bras de l’amour et les accents du luth
Moi ton fils infidèle, je t’ai oubliée.

Tu allais cependant me suivant en silence
Tu étais dans le vin qu’éperdu je buvais,
Étais dans la torpeur de mes nuits amoureuses,
Étais dans les insultes que je te disais.

Tu calmes désormais mes membres épuisés,
Et tu as pris ma tête contre ta poitrine,
Puisque de mes périples je suis revenu :
Toutes mes fausses routes vers toi conduisaient.

Hermann Hesse, À la mélancolie, traduit par Lionel Édouard, 2014

Serse, Haendel

j’ai faim de toi, de toi qui passes devant moi, j’ai très
envie de toi, je ne sais pas comment, je ne sais rien de
toi mais je t’épouse, je veux savoir ton ventre, ton
visage et tes rides à l’intérieur, je veux bien te palper,
je veux six huîtres de Bouzigues, une pinte de blonde
et un tiramisu café, donne-moi ton prénom, explique-moi,
dis-moi ce que tu penses, mange, dis-moi où tu
habites, dis-moi si je te plais, si je suis belle, mange,
donne-moi ta chemise et parle, oui, parle à voix haute,
gueule, mange, fais des cris, déconne, mange, mouette,
vagis, tes bruits de bouche, mange, gueule, mange,
gueule devant moi, rumine, taureau, jument, belette,
mâche, mâche et remâche mon prénom, régale-toi,
je te veux, croque du sable, mon trésor, mon roi,
ma reine, mon gâté, je te prends, je t’épouse, je t’aime
jusqu’au fond du fond du ventricule.

Victor Malzac, extrait de Vacance, Éditions Cheyne, 2022

Roméo & Juliette – Benjamin Millepied

Dans le train Lille-Paris

Aller nulle part
Surtout pitié personne
Personne personne
Pas parler
De quoi ?

Tout ce qui n’est pas toi
Me glisse entre les doigts
Ton silence arrache le câble
Qui acheminait jusqu’à moi
Les teintes et les intonations
De la planète terre

Où je vais disparaître

Extrait de Extrasystoles, Fanny Chiarello, Éditions Les Carnets du Dessert de Lune, mars 2023

Mahler, Wagner – Ben Glassberg & Sally Matthews

Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.
Assise sur ma grande chaise,
Mi-nue, elle joignait les mains.
Sur le plancher frissonnaient d’aise
Ses petits pieds si fins, si fins.
– Je regardai, couleur de cire
Un petit rayon buissonnier
Papillonner dans son sourire
Et sur son sein, – mouche ou rosier.
– Je baisai ses fines chevilles.
Elle eut un doux rire brutal
Qui s’égrenait en claires trilles,
Un joli rire de cristal.
Les petits pieds sous la chemise
Se sauvèrent : « Veux-tu finir ! »
– La première audace permise,
Le rire feignait de punir !
– Pauvrets palpitants sous ma lèvre,
Je baisai doucement ses yeux :
– Elle jeta sa tête mièvre
En arrière : « Oh ! c’est encor mieux !
Monsieur, j’ai deux mots à te dire… »
– Je lui jetai le reste au sein
Dans un baiser, qui la fit rire
D’un bon rire qui voulait bien…
– Elle était fort déshabillée
Et de grands arbres indiscrets
Aux vitres jetaient leur feuillée
Malinement, tout près, tout près.

Arthur Rimbaud, Première soirée, 1870

Cendrillon ou le Grand Hôtel des songes, d’après La Cenerentola de Rossini

Ma nouvelle voisine
Dessine toute la nuit
Une lampe de bureau éclaire son immense table
Et une partie de son visage maquillée.
Elle vient d’un pays
Où les gens vivent dehors la journée.
Elle prépare souvent des crêpes
Qu’elle fait sauter très haut
Dans sa grande poêle
Un sourire aux lèvres
Quand elle les récupère.

Sa maison n’a pas de rideau
Et elle est sur une colline.
Elle est toujours en train de chanter
Habite avec un pélican
Qu’elle traite comme un prince.
Nous ne parlons pas la même langue
Et pourtant nous nous comprenons
Mieux que si nous étions des frères et soeurs.

Thierry Radière, extrait de Poème à Tilda, Éditions les Carnets du Dessert de Lune, 2022

Danser Ravel et Debussy – Thierry De Mey & Pierre Dumoussaud

Matin, j’ai tout aimé, et j’ai tout trop aimé ;
À l’heure où les humains vous demandent la force
Pour aborder la vie accommodante ou torse,
Rendez mon cœur pesant, calme et demi-fermé.

Les humains au réveil ont besoin qu’on les hèle,
Mais mon esprit aigu n’a connu que l’excès ;
Je serais tel qu’eux tous, Matin ! s’il vous plaisait
De laisser quelquefois se reposer mon zèle.

C’est par mon étendue et mon élan sans frein
Que mon être, cherchant ses frères, les dépasse,
Et que je suis toujours montante dans l’espace
Comme le cri du coq et l’ouragan marin !

L’univers chaque jour fit appel à ma vie,
J’ai répondu sans cesse à son désir puissant
Mais faites qu’en ce jour candide et fleurissant
Je demeure sans vœux, sans voix et sans envie.

Atténuez le feu qui trouble ma raison,
Que ma sagesse seule agisse sur mon cœur,
Et que je ne sois plus cet éternel vainqueur
Qui, marchant le premier, sans prudence et sans peur,
Loin des chemins tracés, des labours, des maisons,
Semble un dieu délaissé, debout sur l’horizon.

Anna de Noailles, Poèmes de l’amour, 1924

Roméo et Juliette, Gounod

Sawsana
Nous ne connaissions pas encore les règles du jeu
Nous courions dans la boue et l’asphalte en riant

Sawsana
Je les ai vus entrer dans la poussière
Ils lui ont fait une bouche et ils l’ont scellée
Comment peuvent-ils finir la chanson maintenant ?

Sawsana
Je sais seulement de la vie ce que les poissons savent de l’air
Et le silence du plomb

Qui sommes-nous ?
Une histoire oubliée dans les décombres

Quand l’eau jette un doute
Elle devient salée
Nous ne sommes ni doute ni eau ni sel
Nous sommes l’incarnation même des tempêtes.
Notre seul défaut est d’être coincés
Sous les décombres de l’univers !

Étouffons mon amour
Faisons brûler l’eau…

Mustafa Hazzouri, poète syrien en exil

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Accessibilité

L’Opéra accessible
L’Opéra de Rouen Normandie met tout en œuvre pour encourager et faciliter la venue des personnes en situation de handicap. Une tarification adaptée, des dispositifs d’accompagnement spécifiques et des lieux accessibles permettent une découverte de la saison dans les meilleures conditions.

Gilets vibrants
Pour ressentir pleinement les vibrations d’un opéra, d’un concert ou d’un spectacle de danse, l’Opéra de Rouen Normandie met à disposition des gilets SUBPAC pour certains spectacles sur réservation. En savoir plus.

Séances en LSF
Il n’y a actuellement pas de spectacle programmé en Langue des Signes Française à ce jour.

Boucles magnétiques
Des boucles magnétiques individuelles sont disponibles sur simple demande et permettent une amplification sonore des spectacles pour les personnes bénéficiant d’une assistance auditive avec position T.

Réservation SMS
Les personnes présentant une déficience auditive peuvent réserver leurs places et leurs gilets vibrants par SMS au 07 81 15 36 09.

Surtitrage
Un surtitrage en français est proposé pour tous les opéras.

Audiodescription
Certaines représentations sont audiodécrites en partenariat avec Accès Culture. En amont de ces rendez-vous, nous proposons une visite tactile des décors et des costumes avec l’équipe artistique. Le jour du spectacle, le programme de salle est disponible en caractères agrandis et en braille. En savoir plus.

Loupes
Disponibles sur simple demande au vestiaire.

Des lieux adaptés
Le Théâtre des Arts (entrée rue du docteur Rambert) et la Chapelle Corneille sont équipés de rampes d’accès et d’ascenseurs. Des emplacements spécifiques sont réservés aux personnes à mobilité réduite et leurs accompagnateurs. Voir la carte d’accès.

Parcours de découverte
En lien avec la programmation, ils sont proposés aux personnes présentant une déficience intellectuelle.

Votre interlocutrice privilégiée pour organiser des parcours, vous informer sur la programmation, faciliter votre venue :
Angélina Prévost
07 81 15 36 09
angelinaprevost@operaderouen.fr

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